citations textiles
Habits neufs
«Simplicie allait riposter, quand la porte s'ouvrit, et M. Gargilier entra avec un tailleur qui apportait à Innocent des habits neufs et un uniforme de pensionnaire. Il fallait les essayer ; ils allaient parfaitement... pour la campagne ; dans la prévision qu'il grandirait et grossirait, M. Gargilier avait commandé la tunique très longue, très large ; les manches couvraient le bout des doigts, les pans de la tunique couvraient les chevilles ; on passait le poing entre le gilet et la tunique boutonnés. Le pantalon battait les talons et flottait comme une jupe autour de chaque jambe ; Innocent se trouvait superbe. Simplicie était ravie, M. Gargilier était satisfait, le tailleur était fier d'avoir si bien réussi. Tous les habits étaient confectionnés avec la même prévoyance et permettaient à Innocent de grandir d'un demi-mètre et d'engraisser de cent livres.
Simplicie fut appelée à son tour pour essayer les robes que sa bonne lui avait faites avec d'anciennes robes de grande toilette de Mme Gargilier ; l'une était en soie brochée grenat et orange ; l'autre en popeline à carreaux verts, bleus, roses, violets et jaunes ; les couleurs de l'arc-en-ciel y étaient fidèlement rappelées ; deux autres, moins belles, devaient servir pour les matinées habillées ; l'une en satin marron et l'autre en velours de coton bleu ; le tout était un peu passé, un peu éraillé, mais elles avaient produit un grand effet dans leur temps, et Simplicie, accoutumée à les regarder avec admiration, se trouva heureuse et fière du sacrifice que lui en faisait sa mère ; dans sa joie, elle oublia de la remercier et courut se montrer à son frère, qui ne pouvait se décider à quitter son uniforme.»
Même si on n'est pas spécialiste du costume du XIXe siècle, on ne peut que sourire du ridicule de ces accoutrements qui étaient soit trop grands et mal cousus, soit inappropriés pour une fillette. Si vous voulez savoir quel sort attend ces deux enfants ainsi fagotés, retrouvez-les dans «Les Deux nigauds» de ma chère Comtesse de Ségur (née Rostopchine), qui m'agace et m'amuse à la fois.
Dans les musées on trouve assez peu de vêtements pour enfants car ils étaient souvent faits dans d'anciens vêtements pour adultes, donc déjà un peu usés, puis on les passait successivement à tous les membres d'une fratrie, et en général, il n'en restait plus grand chose après une vie si mouvementée. Les seules pièces qu'on ait en nombre relativement important, ce sont les vêtements de bébé, en particulier les robes de baptême qui n'étaient portées qu'une seule journée par chaque enfant, les vêtements de cérémonie. Mais quasiment pas d'uniforme de pensionnaires, de vêtements d'enfants du peuple.
Garde-robe grecque
«Toutes les quatre sont vêtues simplement, de vêtements bon marché. Trois d'entre elles portent des gilets noirs en laine : dehors il bruine et il fait froid. La quatrième a mis une robe à fleurs à l'ancienne mode. Les deux femmes de la première pièce ont des bas épais et des chaussures noires à talons plats. Les deux autres, en bonnes ménagères, ont laissé leurs chaussons à côté du lit avant de s'allonger.»
On rencontre ces quatre femmes au début du polar «Le justicier d'Athènes» de Petros Markaris qui était invité à Toulouse en octobre dernier par Polar du sud. Bizarrement, Markaris ne décrit aussi précisément que les vêtements des victimes dans son roman ; les autres personnages n'ont droit à une brève annotation vestimentaire que s'ils sont journalistes et il ne nous donne aucune indication vestimentaire pour les autres personnages. Il n'en demeure pas moins que par l'entremise de ses personnages, dont Kostas Charitos, une sorte de Maigret grec, Markaris fait voir très concrètement la vie quotidienne des Grecs dans la crise.
On trouve les romans de Markaris dans toutes les bonnes librairies toulousaines, en particulier à la Librairie Série B qui a fêté très récemment son troisième anniversaire. Elle est située rue Sainte-Ursule devant la mercerie Arrow Workshop, tout près aussi de Fifi-Jolipois, bref, en terrain connu...
Trente-deux francs pour habiller une petite mendiante !...
«À la fin du bain, l’enfant en avait assez et témoigna une vive satisfaction quand ses quatre protectrices la firent sortir de la baignoire ; elles la frottèrent, pour l’essuyer, jusqu’à lui faire rougir la peau, et ce ne fut qu’après l’avoir séchée comme un jambon, qu’elles lui mirent une chemise, un jupon et une robe de Thérèse. Tout cela allait assez bien, parce que Thérèse portait ses robes très courtes, comme le font toutes les petites filles élégantes, et que la petite mendiante devait avoir ses jupons tombant sur les chevilles : la taille était bien un peu longue, mais on n’y regarda pas de si près ; tout le monde était content.»
Puis plus loin :
« MADELEINE. – Nous venons acheter de quoi habiller cette petite fille, madame Juivet.
MADAME JUIVET. – Volontiers, mesdemoiselles. Vous faut-il une robe, ou une jupe, ou du linge ?
CAMILLE. – Il nous faut tout, madame Juivet ; donnez-moi de quoi lui faire trois chemises un jupon, une robe, un tablier, un fichu, deux bonnets.»
Puis pour finir cet épisode d’habillage d’une petite mendiante :
«Trente-deux francs pour habiller une petite mendiante !... Madame Juivet, ajouta-t-elle [la grand-mère des petites filles] d’un ton sévère, vous avez abusé de l’ignorance de mes petites-filles ; vous savez très bien que les étoffes que vous apportez sont beaucoup trop belles et trop chères pour habiller une enfant pauvre ; remportez tout cela, et sachez qu’à l’avenir aucun de nous n’achètera rien chez vous.»
Au cas où cela vous aurait échappé, la comtesse de Ségur a des idées très précises sur la façon dont doit être habillée une petite mendiante à laquelle on fait l’aumône ainsi qu'en témoignent ces extraits des «Mémoires d'un âne». D'une manière générale, ses textes, outre des recommandations morales de cet ordre, sont très précis sur la garde-robe enfantine du XIXe siécle.
Noir sur blanc
Texte, du latin «texere» tisser, désigne l'ensemble des termes constituant un écrit, comme me l'indique mon bon vieux Larousse.
Textile, du latin «textilis» tissé, désigne la fabrication des étoffes, toujours selon Larousse.
Cette parenté des deux termes a inspiré à Dominique Miraille,
Le textile en plus d'être étroitement lié à la langue, de par ses origines mêmes, est une partie constituante des personnages qui peuplent la littérature. Il est en effet difficile de décrire un personnage sans accorder attention au vêtement qui contribue à en éclairer le caractère, la situation sociale, l'action à laquelle il se trouve mêlé, à préciser une ambiance, à éclairer aussi les goûts de l'écrivain.
Sa démarche hardie me donne l'idée d'ouvrir une nouvelle catégorie de billets qui va être nourrie peu à peu, «Citations textiles» avec des citations littéraires ayant trait au textile, piochées dans mes lectures, mais aussi dans les vôtres qui seront les bienvenues. Un peu comme un jeu de piste littéraire et textile.
«Noir sur blanc - noir et blanc : une autre façon de voir un texte et de lire un objet»
Musée de la Mode à Albi
Jusqu'au 27 décembre 2015