Sonia Delaunay : les couleurs de l'abstraction
Sonia Delaunay, originaire d'Ukraine où elle n'est plus retournée après 1909, est arrivée en France après un passage en Allemagne où elle rencontra Kandinsky, au début du XXe siècle et a construit à Paris une œuvre multiforme et très dense.
Sa vie mouvementée lui fit côtoyer les artistes majeurs de son époque, les mouvements nouveaux, comme les fauves qui traitaient les couleurs primaires en larges aplats cernés de noir, avec des contrastes puissants et supprimaient la perspective géométrique, puis les cubistes qui privilégiaient la forme sur la couleur.
À son retour du Portugal et d'Espagne où elle passa la Première guerre mondiale, elle confectionna une couverture pour le lit de son fils avec des bouts de tissus, autrement dit un patchwork de pièces géométriques animées d'un jeu de courbes et de rectangles. Cette couverture est aussi sa première œuvre textile. Sur cette couverture, on retrouve les thèmes majeurs de son travail à venir avec la couleur brute traitée en larges aplats, des formes simples, géométriques mises en mouvement par un jeu de courbes et de rythmes.
Puis Diaghilev fit appel à elle pour réaliser les costumes des Ballets russes, et à son mari Robert Delaunay pour les décors. À ce propos, la collaboration conjugale du couple Delaunay était très originale puisque chacun y poursuivait son œuvre personnelle tout en travaillant des thèmes décidés conjointement. Par exemple, dans le costume de Cléopâtre, on retrouve la forme géométrique du cercle, très présente dans leur peinture, cercle inspiré du soleil, du disque des couleurs de Chevreul. Du costume de scène, elle passa à la mode en créant, pour les nombreuses soirées parisiennes auxquelles participaient les Delaunay, ses propres robes qui associaient la forme au mouvement, en particulier pour danser. Et toujours la couleur, intense, radieuse. Avec son souci constant de mettre de l'art dans tout, en particulier dans la mode, elle créa des modèles confortables, bien dessinés, très colorés qui suscitèrent un vif intérêt auprès d'une clientèle fortunée. Afin de satisfaire cette clientèle, elle ouvrit une boutique de mode où elle pratiqua de nombreuses techniques textiles : couture, maille (avec notamment la production de maillots de bain, vêtements nouveaux pour lesquels tout restait à inventer), impression sur étoffes, tapisserie, broderie. Au cours des années 1920, des soyeux lyonnais firent appel à elle pour créer des imprimés sur soie pour l'ameublement et le vêtement. Tout son travail pour l'industrie textile est remarquablement bien documenté dans ses carnets de travail qu'elle tenait à jour avec grand soin. Depuis, ses œuvres textiles, qui ont profondément marqué la mode, ont été largement détournées, copiées. Sans compter qu'elles sont une source d'inspiration toujours d'actualité pour de nombreux designers textiles et couturiers. Une nouvelle boutique «Sonia Delaunay» a été créé récemment par une de ses lointaines parentes, où on retrouve des imprimés. S'agira-t-il uniquement de rééditions ou de nouvelles créations ? je ne sais pas. En tout cas, elle reprend le flambeau de la première boutique que Sonia Delaunay avait fermé en 1930.
Réduire Sonia Delaunay à ses seules créations textiles est très réducteur car elle produisit une œuvre picturale importante qui influença de nombreux peintres du XXe siècle : Mondrian, Léger, Jasper Johns, ou encore Vasarely, par exemple. Par ailleurs, elle intervint dans de nombreux autres arts appliqués : la reliure et la création de livres-objets, la publicité avec des créations d'affiche ou encore avec un industriel produisant des néons, la décoration intérieure, des peintures murales à l'occasion de l'Exposition internationale de 1937, et même la décoration d'automobiles... dispersion que certains lui ont reproché, car cela aurait limité sa production picturale et proprement «ÂÂÂÀRtiSSSStiquEEEE». Sonia Delaunay a eu une carrière très longue, puisqu'elle produisit jusque dans les années 1960, prolifique, extrêmement dense qui en fit une cheffe de fil de l'abstraction, mais d'une abstraction vivante, vibrante, dynamique, chaleureuse.
Ce billet a été rédigé à partir des quelques notes prises lors de la conférence donnée le mardi 20 janvier, à la Salle du Sénéchal «Sonia Delaunay : les couleurs de l'abstraction» par Céline Laurière*, à l'occasion de l'exposition du Musée d'art moderne de Paris qui présente en ce moment plus de 400 œuvres de la peintre Sonia Delaunay. Peut-être un regret par rapport à la conférence, j'aurais apprécié quelques éclaircissements sur les liens avec le Bauhaus et avec le constructivisme russe. Mais la conférence était déjà très intéressante et nous a tenu en haleine quasiment deux heures avec un grand talent.
* Céline Laurière, qui est guide-conférencière à la Fondation Bemberg, est une conférencière «à suivre».
Bibliographie :
Sonia Delaunay : catalogue d'exposition - Musée d'art moderne, 2014
Sonia Delaunay : sa mode, ses tableaux, ses tissus - par Cécile Godefroy - Flammarion, 2014 -
Sonia Delaunay, mode et tissus imprimés - Paris, Jacques Damase, 1991 - 176 p. - ISBN 2-904632-34-4
Vos prochains rendez-vous textiles
à Toulouse et dans la région...
200 km dans le bleu
Dans un triangle qui va du Gers, du Tarn, à l'Ariège, à l'Aude et passant par la Haute-Garonne, une route bleue sillonne la verte campagne et passe par une vingtaine de sites remarquables. Il s'agit de la route historique du pastel, colorant qui fit la fortune régionale pendant toute la Renaissance. Tout au long de cette route on découvre les différentes opérations de fabrication du pastel, en partant de la culture d'Isatis Tinctoria, jusqu'à sa mise en vente pour tous les teinturiers d'Europe.
Albi, Graulhet, Lavaur, Magrin, Puylaurens, Loubens, Toulouse, Saint-Julia de Gras-Capou, Saint-Paul Cap de Joux, Revel, Sorèze, Villefranche-de-Lauragais, le Château de Montgeard, Mazères, Lectoure, voilà les principales étapes pour de belles randonnées de fin d'hiver. A vos cartes !
Et si on ne veut pas aller si loin, la Fleurée de pastel, rue de la Bourse, organise de temps à autre des démonstrations de teinture dans son arrière-cour. D'un bain à l'autre, à chaque oxygénation du colorant dans la fibre, nous observons le passage magique du jaune citron au vert fluo puis enfin au bleu. Et si vous voulez essayer la teinture, suivez les conseils très détaillés de Sandrine, ma collègue blogueuse.
Innovation textile régionale
Récemment, l'association Pénélopée recevait Richard Rico de l'UIT Sud (Union des industries textile) et Xavier Plo, industriel du Tarn dont l'entreprise est spécialisée dans l'ennoblissement textile, pour nous parler de l'innovation textile, dans notre région.
La filière textile est souvent vue comme une filière vieillissante, en déclin, et il est vrai qu'elle a subi les rudes contrecoups de la mondialisation. De plus la filière textile en Midi-Pyrénées, située sur l'axe Tarn / Toulouse / Ariège, est la plus petite région textile française, en terme d'effectifs. Les 223 entreprises textiles régionales sont plutôt des PME, plutôt implantées en zones rurales ; toutes réunies, elles constituent une filière textile complète, de la filature au textile fini (tissu ou maille). Un point à préciser, avant de continuer, quand on dit «filière textile», on dit production de la fibre et du tissu, mais pas la confection des vêtements.
Avant d'aborder le thème proprement dit de l'innovation, les intervenants ont tout d'abord présenté les spécificités régionales traditionnelles, en particulier l'ennoblissement textile, c'est-à-dire toutes les opérations que subit un textile, entre le moment où il tombe du métier à tisser et sa mise en vente. Ce travail d'ennoblissement se fait en au moins sept étapes pour donner au textile des qualités visuelles, tactiles ou fonctionnelles, par des opérations chimiques et par des opérations physiques. Les principales entreprises d'ennoblissement se trouvent dans le Tarn. Les deux autres grandes spécialités régionales historiques sont la filature de laine cardée pour le tissage, et le fils fantaisie, qui mélange différentes matières, différentes couleurs. Ou encore le tissage et le tricotage, eux aussi bien représentés dans le Tarn.
À ces spécialités déjà anciennes, de nouveaux débouchés locaux suscitent une forte innovation, par exemple pour l'aéronautique (il y du textile dans les ailes d'avion, pas seulement sur les sièges...), pour la santé (production de bio-textiles pour les pansements et les textiles chirurgicaux), pour l'agriculture (voiles de protection des cultures), pour le BTP (isolant, renforcement et allègement des structures). Ces entreprises se développent actuellement en Ariège, autour de Pamiers, Lavelanet.
D'autres spécialités naissent ou se développent pour répondre à un besoin nouveau, comme l'effilochage, qui se développe depuis quelques années, grâce à la récupération des textiles usagés et issus du tri des déchets (ceux que vous avez emballés selon la méthode proposée dans le précédent billet, par exemple). Ce procédé permet de libérer la fibre dans des machines à déchiqueter, après un tri préalable par couleur et par matière pour la réutiliser dans la filière classique habillement-ameublement, ou en vrac si le produit fini est utilisé comme isolant dans le bâtiment.
Innover dans le textile, qu'est-ce que cela signifie concrètement ? La recherche peut porter sur les matériaux, sur les procédés techniques, sur la satisfaction de nouveaux usages.
C'est d'une part le Plan industriel stratégique, plan de développement gouvernemental pour relancer les productions industrielles françaises qui bénéficient d'un savoir-faire de ses ouvriers et ingénieurs. En particulier l'industrie textile fait partie des secteurs mis en avant car elle peut profiter d'une ressource renouvelable. Par exemple, la filière chanvre est relancée dans trois régions françaises, le Nord, l'Alsace et le Midi toulousain. C'est une production végétale locale qui nécessite fort peu d'intrants, qui n'épuise pas les sols. Le chanvre entre désormais dans l'isolation thermique du bâtiment mais aussi à nouveau dans les mélanges de fibres pour l'habillement. L'innovation porte ici essentiellement sur le rouissage, opération par laquelle on débarrasse la fibre de son enveloppe. Un autre domaine d'innovation sur les matériaux : le filage de biopolymère issu du maïs. Ou encore les textiles « intelligents » par exemple pour des usages médicaux, ou encore des textiles « producteurs d'énergie » - (imaginez : vous marchez et en même temps vous rechargez votre téléphone).
De nombreux travaux de recherche portent également sur des opérations techniques : par exemple le montage par soudure et non plus par couture, le thermoformage - (dans quelques années, peut-être disposerez-vous d'un poste de soudure dans les ateliers de Tata Georgette !).
Un autre outil pour développer l'innovation régionale est le Creuset Innovation, un cluster d'une dizaine d'entreprises qui regroupent leurs compétences pour des projets innovants. Par exemple pour le développement d'un fil luminescent (développé par une filature ariégeoise). Un autre exemple : la maille appliquée au bâtiment, à l'aéronautique. Imaginez par exemple les tuyaux, les câbles passant dans des «chaussettes» adaptées à la taille d'un bâtiment.
Tous ces travaux de recherche, toutes ses applications industrielles déjà mises en œuvre dans l'industrie et pour certaines déjà entrées dans notre vie quotidienne sans que nous nous en rendions forcément compte. Tout cela contribue au redressement de la filière textile, tant en nombre d'emplois, qu'en exportations, ou en chiffre d'affaire : le bonheur au bout du fil ! De tout cela, il ressort que le textile déborde largement les domaines traditionnels de la mode et de l'ameublement. En clair, demain, le textile ne servira pas seulement à nous habiller.
En tout cas, nos conférenciers étaient passionnants, très pédagogues, et ont de plus répondu très aimablement à toutes nos questions ; ce compte-rendu ne donne qu'un pâle reflet de leurs très intéressants propos. Merci beaucoup à eux.
Notez dès à présent dans votre agenda que la prochaine conférence organisée par Pénélopée aura lieu le 3 mars : «Design et création textile».
Pour en savoir plus :
http://www.materio.com/
http://www.futurotextiles.com/
http://www.future-shape.com/fr/
http://innovatheque.fr/fr
Solder et jeter ?
À quoi bon acheter un énième pull qui sera tout ramollo au bout de deux lavages ? À quoi bon acheter une énième une petite robe (super soldée bien sûr) qui n'est pas tout à fait à votre taille, puisque non, c'est définitivement fichu, vous n'êtes pas un mannequin de 1m80 taillant un gros 34 ?
Qui se souvient qu'il y a à peine un siècle, au début du vingtième siècle, dans beaucoup de ménages, une seule armoire à deux portes et une commode à quatre tiroirs suffisaient à contenir toute la garde-robe d'une famille de quatre personnes ? Sans parler de l'époque encore plus lointaine où les vêtements étaient enregistrés après décès, par le notaire qui devait régler la succession.
Aujourd'hui, nous aurions, d'auprès l'Institut français de la mode, 35% de vêtements de plus qu'en 1990, nombre qui n'était déjà pas négligeable. Alors que nous n'avons toujours que deux bras, deux jambes, un seul buste à habiller par personne. Mais les usages se sont diversifiés, spécialisés. Même les moins coquets ne pourraient pas aller faire leur jogging avec avec un bon vieux pull un peu usé qui finirait ainsi glorieusement sa carrière. Non, il faut le sweat adapté, assorti au pantalon lui aussi réservé à cet usage, au bandeau, etc. Et les usages sportifs ne sont pas les seuls à «nécessiter» une garde-robe spécialisée. Bref, cela fait souvent plusieurs centaines de pièces vestimentaires par personne.
Et comme beaucoup de ces matériaux et des coupes industrielles ne sont pas réparables, au premier accroc, hop ! on jette. Les mieux intentionnés les donnent à Emmaüs. Par exemple, beaucoup de vêtements industriels sont taillés sans aucune marge de manœuvre, le tissu coupé au ras de la couture. Prenez quelques centimètres sur les hanches et le vêtement n'est plus portable ni réparable.
Résumons : le nombre de vêtements par personne augmente, la durée de vie de chaque vêtement diminue car on ne répare presque plus. Les quelques retoucheuses que l'on trouve en ville ne pèsent pas grand chose à côté du nombre de professionnels qui étaient occupés par le retraitement du vêtement, soit pour les retailler, les restaurer, les réparer, les reteindre, jusque dans les années 50.
Si je ne suis pas nostalgique des temps de pénurie, je ne suis pas non plus une «Soldes-Addict». D'autant que j'ai souvent l'occasion de constater, dans les ateliers, que beaucoup de personnes n'y connaissent allègrement rien en textile ; pour être précise, les connaissances de base sont le plus souvent limitées aux noms des marques. Mais quid des fibres ? des matériaux ? des textures ? des coupes ? de l'entretien du linge ? des réparations simples que tout un chacun peut réaliser ? C'est aussi cela que l'on peut apprendre au cours des ateliers de Tata Georgette, en s'initiant aux techniques de base de la couture, de la maille pour, au final, mieux connaitre la confection et savoir ce que l'on achète, acheter moins mais de plus belles pièces qui dureront plus longtemps au lieu d'aller finir leur brève carrière dans une déchetterie. À moins, qu'en plus d'une nouvelle armoire, vous ne vous équipiez d'une solution adaptée au rangement du textile. Bon, ben voilà, j'en ai fini avec mon «coup de gueule» annuel anti-soldes.